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La règle des 4 % : peut-on vraiment prendre sa retraite pendant 30 ou 60 ans en vivant de son portefeuille ?

Publié le: 12 Mai, 2025

Le rêve de l’indépendance financière

As-tu déjà rêvé de te réveiller un matin sans réveil, en sachant que ta journée t’appartient entièrement ? Pas de patron, pas de contraintes professionnelles, juste la liberté de suivre tes passions. C’est la promesse de l’indépendance financière, cet état où ton argent travaille suffisamment pour toi, te permettant de ne plus avoir à travailler pour l’argent.

Au cœur de cette philosophie se trouve un chiffre presque mystique : 4%. Cette “règle des 4%” est souvent présentée comme la formule magique pour calculer combien tu dois épargner avant de pouvoir vivre de tes investissements. L’idée est simple : accumule un portefeuille suffisamment important pour que 4% de sa valeur couvre tes dépenses annuelles, et tu pourras théoriquement maintenir ce niveau de vie indéfiniment.

Mais cette règle tient-elle vraiment ses promesses, surtout si tu envisages une très longue période sans revenus professionnels de 30, 40, voire 60 ans ? Et comment l’adapter au contexte européen, bien différent du cadre américain où cette règle a été élaborée ? Plongeons ensemble dans les détails de ce concept fascinant qui pourrait transformer ta vision de la retraite.

La Trinity Study : aux origines de la règle des 4%

Pour comprendre la règle des 4%, il faut remonter à sa source : la fameuse “Trinity Study”, une étude académique publiée en 1998 par trois professeurs de l’université Trinity au Texas. Ces chercheurs ont analysé les données historiques des marchés financiers américains pour déterminer le taux de retrait annuel qui permettrait à un portefeuille de survivre pendant une période de retraite de 30 ans.

Leur conclusion ? Un portefeuille composé 60% d’actions (représentées par l’indice S&P 500) et 40% d’obligations américaines, avec un taux de retrait annuel de 4% de la valeur initiale (ajusté ensuite à l’inflation), avait environ 95% de chances de durer au moins 30 ans. Ce taux est devenu le fameux “Safe Withdrawal Rate” (SWR) ou taux de retrait sécuritaire.

Concrètement, voici comment fonctionne la règle :

  1. Tu calcules ton budget annuel nécessaire
  2. Tu multiplies ce montant par 25 (car 4% est l’inverse de 25)
  3. Le résultat est le capital que tu dois accumuler

Par exemple, si tu as besoin de 20 000€ par an pour vivre, tu devrais épargner 500 000€. En retirant 4% la première année (soit 20 000€) puis en ajustant ce montant à l’inflation chaque année suivante, ton capital devrait théoriquement durer au moins 30 ans.

Cette règle séduisante repose toutefois sur plusieurs hypothèses importantes :

  • Des rendements comparables aux performances historiques du marché américain
  • Une répartition typique entre actions et obligations (souvent 50/50 ou 60/40)
  • Une période de retraite ne dépassant pas 30 ans
  • Des frais de gestion minimes
  • Une fiscalité américaine (notamment avec des véhicules d’investissement privilégiés comme le 401(k))

Adapter la règle des 4% au contexte européen et au MSCI World

En Europe, plusieurs facteurs viennent modifier l’équation. Pour commencer, l’indice de référence n’est pas le même. Alors que les Américains se concentrent souvent sur le S&P 500, les investisseurs européens devraient privilégier le MSCI World, un indice plus diversifié qui inclut environ 1 500 entreprises de 23 pays développés.

Cette différence est significative. Le S&P 500, composé uniquement d’entreprises américaines, a historiquement affiché des performances légèrement supérieures au MSCI World, mais avec une concentration géographique plus élevée. Sur la période 1970-2020, le rendement annualisé du S&P 500 a été d’environ 10,8% contre 9,9% pour le MSCI World (avant inflation).

Voyons les principaux ajustements nécessaires pour l’Europe :

1. Fiscalité différente: En Europe, nous n’avons pas les mêmes avantages fiscaux qu’aux États-Unis. Pas de 401(k) ou d’IRA, mais plutôt une mosaïque de dispositifs variables selon les pays comme le PEA en France. La fiscalité sur les dividendes et les plus-values est généralement plus lourde, ce qui réduit le rendement net.

2. Frais plus élevés: Les ETF et fonds indiciels européens ont souvent des frais de gestion légèrement supérieurs à leurs équivalents américains. Par exemple, un ETF MSCI World européen peut avoir des frais de 0,20-0,30% contre 0,03-0,10% pour un ETF S&P 500 américain. Sur plusieurs décennies, cette différence n’est pas négligeable.

3. Effet de change: Les investisseurs européens subissent un risque de change supplémentaire lorsqu’ils investissent dans des actifs libellés en dollars ou d’autres devises. Les fluctuations euro/dollar peuvent affecter significativement les rendements réels sur le long terme.

4. Inflation différente: L’inflation européenne a souvent divergé de l’inflation américaine, ce qui peut modifier le pouvoir d’achat réel des retraits au fil du temps.

Ces facteurs combinés suggèrent qu’un taux de retrait plus prudent pourrait être plus approprié pour les Européens. Plusieurs études adaptées au contexte européen indiquent qu’un SWR de 3,5% offrirait une sécurité comparable aux 4% américains pour une période de 30 ans.

Allonger l’horizon : que se passe-t-il sur 30, 40, 50 ou 60 ans ?

La Trinity Study se limitait à un horizon de 30 ans, ce qui correspond à une retraite classique débutant vers 65 ans. Mais que se passe-t-il si tu souhaites prendre ta retraite à 40, 35, voire 30 ans ?

Plus l’horizon temporel s’allonge, plus les incertitudes s’accumulent et plus le taux de retrait sécuritaire doit diminuer. Les recherches récentes suggèrent les taux suivants pour différents horizons, en se basant sur les données historiques du MSCI World :

  • 30 ans : 3,5% (contexte européen)
  • 40 ans : 3,25%
  • >50 ans : 3%

Ces chiffres peuvent sembler décourageants pour les adeptes du mouvement FIRE (Financial Independence, Retire Early) extrême, qui visent parfois une retraite dès 30 ans. Pour une retraite de pllus de 50 ans, un taux de 3% signifierait qu’il faut environ 33 fois tes dépenses annuelles en capital (contre 25 fois avec la règle des 4%).

Cette réduction du taux s’explique par plusieurs facteurs :

  • Plus l’horizon est long, plus le risque de traverser des périodes de marché désastreuses augmente
  • L’effet cumulatif de l’inflation sur plusieurs décennies peut éroder considérablement le pouvoir d’achat
  • Les séquences de rendements défavorables (comme un krach important en début de retraite) ont un impact plus dramatique sur les très longues périodes

Simulations concrètes : combien investir pour générer 1 500€/mois ?

Prenons un exemple concret : tu souhaites générer un revenu mensuel de 1 500€, soit 18 000€ par an, pendant 40 ans. Calculons le capital nécessaire selon différents taux de retrait :

  • Avec la règle classique des 4% : 18 000 ÷ 0,04 = 450 000€
  • Avec un taux adapté de 3,25% pour 40 ans : 18 000 ÷ 0,0325 = 553 846€
  • Avec un taux très prudent de 3% : 18 000 ÷ 0,03 = 600 000€

La différence est substantielle : il te faudrait épargner entre 103 846€ et 150 000€ supplémentaires pour maintenir le même niveau de vie avec un taux plus prudent.

Vérifions maintenant comment se comporterait ce capital dans différents scénarios historiques, en supposant un portefeuille investi à 70% en actions mondiales (MSCI World) et 30% en obligations européennes :

  1. Scénario favorable (équivalent aux années 1982-2022) : Avec 553 846€ investis et un retrait initial de 18 000€ ajusté à l’inflation, le portefeuille atteindrait environ 1,2 million d’euros après 40 ans.

  2. Scénario médian (rendements moyens historiques) : Le portefeuille terminerait avec environ 600 000€, maintenant essentiellement son pouvoir d’achat.

  3. Scénario défavorable (équivalent aux années 1969-2009) : Le portefeuille se réduirait à environ 250 000€, mais suffirait encore à couvrir les besoins jusqu’à la fin des 40 ans.

Ces simulations illustrent pourquoi un taux de 3,25% offre une marge de sécurité raisonnable pour un horizon de 40 ans, avec une probabilité de succès d’environ 90-95%.

Conclusion : au-delà de la règle des 4%

La règle des 4% reste un excellent point de départ pour réfléchir à ton indépendance financière, mais elle mérite d’être affinée selon ta situation personnelle. Pour les investisseurs européens visant une très longue période sans revenus professionnels, un taux entre 3% et 3,5% semble plus prudent, en fonction de l’horizon envisagé.

N’oublie pas que ces calculs supposent une approche rigide : retirer un montant fixe ajusté à l’inflation, quelles que soient les conditions du marché. Dans la réalité, tu peux adopter une stratégie plus flexible :

  • Réduire temporairement tes retraits pendant les marchés baissiers
  • Conserver une “marge de sécurité” pour les dépenses non essentielles
  • Maintenir une petite activité rémunérée pendant les premières années de retraite
  • Réévaluer régulièrement ton portefeuille et ajuster ta stratégie

Cette flexibilité peut te permettre d’augmenter significativement ton taux de retrait sur le long terme, parfois jusqu’à 3,5-4% même pour des horizons de 50-60 ans. Nous explorerons ces stratégies plus flexibles dans d’autres articles.

En définitive, la règle des 4% (ou sa version adaptée à 3-3,5%) n’est pas une garantie absolue, mais plutôt une boussole pour orienter ta planification financière. Le chemin vers l’indépendance financière est fait d’équilibre entre prudence et optimisme, entre rigueur mathématique et adaptation intuitive.

Respire profondément et rappelle-toi que le véritable objectif n’est pas d’optimiser chaque pourcentage, mais de créer une vie qui te correspond pleinement, libérée des contraintes financières. Et sur ce chemin, chaque pas compte, même les plus petits.